Pour Georges Merel, libraire à Nantes, la réponse ne fait aucun doute : « Oui, en volume ! » Avec 5565 livres de BD publiés en 2012 – dont 4109 nouveautés –, le rapport annuel de l'Association des critiques et journalistes de bande dessinée (ACBD) constate une augmentation de l'offre de 4,28% par rapport à 2011. Un chiffre en hausse pour la dix-septième année consécutive, dans un secteur à l'économie de plus en plus fragile.
Conséquence directe de cette abondance de titres, les trésoreries des libraires sont davantage sollicitées sous la pression des nouveautés. « C'est fini le temps où l'on pouvait tout voir. La durée de vie des livres est réduite. Il faut faire des compromis entre choix artistiques, best-sellers et nouveautés » témoigne Georges Merel. En librairie le temps consacré à la gestion du flux et au traitement des stocks est devenu considérable. Pour Florence Richard, employée de Story-BD à Nantes, « le serpent se mord la queue .» En période de fin d'année son magasin gère chaque semaine plus d'une trentaine de cartons : « on est envahi, alors on essaie de faire passer le message aux représentants des éditions pour trouver un juste équilibre. »
Emmanuelle Klein, attachée de presse aux éditions Delcourt, déplore « le côté manutentionnaire du métier de libraire » mais rebondit sur l'état de santé de son entreprise : « nous avons enregistré un chiffre d'affaire en hausse de 14%. » Avec 906 titres parus l'année dernière, Delcourt est en France le plus gros producteur d'albums. Trois autres groupes suivent : Média-Participations (Dargaud, Kana, Le Lombard, Dupuis), Glénat et Gallimard (Casterman, KSTR, AUDIE/Fluide glacial, Futuropolis). En 2012 ces quatre maisons représentaient 44,87% de la production. Le rapport annuel de Gilles Ratier, secrétaire général de l'ACBD, recense par ailleurs « 326 éditeurs (soit 16 de plus qu'en 2011). »
L'érosion et l'éclatement du lectorat incitent les éditeurs à proposer des catalogues de plus en plus fournis et segmentés, principalement en BD franco-belges, mangas, comics ou romans graphiques. Aux éditions Delcourt une trentaine de livres est publiée tous les mois. Emmanuelle Klein assure que « chaque livre est travaillé dans sa promotion et son suivi .» Un rythme de publication soutenu que les éditions Soleil ont également adopté : 372 parutions en 2012.
Les réactions des principaux groupes à un marché difficile ainsi que la multiplication des maisons d'édition contribuent à l'augmentation globale de l'offre. Dans sa dernière analyse du secteur, Xavier Guilbert, rédacteur en chef du site web du9, pointe une « surproduction qui fragilise aujourd’hui l’ensemble de la chaîne en amont des libraires (auteurs, éditeurs), et réduit de plus en plus ces derniers à un rôle de manutentionnaire. »
Le rapport de Gilles Ratier estime qu'en France seulement « 1510 auteurs réussissent encore à vivre, souvent difficilement, de la création de bande dessinée. » Si la configuration actuelle du marché assure une offre plus étendue pour le consommateur, elle installe également une précarité et une concurrence de plus en plus rudes pour les auteurs en attente d'un succès commercial.